Draško Sikimić

Photo : Ema Bednarž

KATARINA

I

Alors qu’il observait l’enterrement de son meilleur ami, Danilo Kovač réalisa qu’il avait maigri. Il se tenait debout et respirait paisiblement, tandis que son propre cœur le tourmentait.

C’était la fin du mois de mars et Danilo avait déjà commencé à fortement ressentir l’odeur de la terre.

Ce jour-là, une étrange brise printanière soufflait à travers le cimetière. La scène qu’il avait sous les yeux, rappelait à Danilo un célèbre peintre américain.

Lorsqu’un ami d’Andrew Wyeth mourrait, l’artiste se rendait à la maison du défunt et demandait s’il pouvait peindre son ami ainsi – mort. Malgré la stupeur générale, on lui accordait la permission de le faire.

Danilo n’avait aucun talent de peintre et il n’avait rien pu faire face à la mort de son ami le Capitaine, mais il pouvait imaginer et rêver de la réalisation de ses idées.

Ainsi, Danilo avait consacré beaucoup de temps et d’attention aux œuvres d’Andrew Wyeth.

« Si j’avais réellement un talent », avait dit un jour Wyeth, « je dépeindrais le champ du monde de Christina sans elle. »

Danilo se souvint aussi de la chose suivante. Si Andrew Wyeth peignait un homme marchant dans un champ, ce qu’il faisait souvent, son père avait l’habitude de lui dire : « Ajoute davantage de couleurs à tes tableaux, tu ne pourras pas vivre de ton art si tu continues ainsi, et donne à cet homme un pistolet à la main, ou un chien qui marche à ses côtés… » Cependant, Andrew restait fidèle à lui-même. Tout ce qu’il désirait était un homme marchant dans un champ.

Ce peintre américain avait profondément marqué Danilo, même dans sa réflexion sur la création littéraire.

Les funérailles ont pris fin.

Danilo éprouvait un certain mécontentement, car les dernières volontés du Capitaine n’avaient pas été respectées. Mais il se consolait en pensant que son ami serait tout de même satisfait, car personne d’autre que la famille proche et lui-même n’avait assisté à la cérémonie funéraire.

Enfin, un enterrement digne de ce nom, pensa Danilo Kovač en quittant le cimetière.

Même si cette mort anticipée n’atténuait pas la douleur, il semblait que la paix régnait dans le cimetière cet après-midi.

Plus tard dans la journée, Danilo marchait aux côtés de Dimitrije, le frère de son meilleur ami.

« Enfin », lui dit-il, alors que Dimitrije le regarda pensif. « Enfin, une mère a pu enterrer son fils, sans être assaillie de mains condoléantes. »

Son frère esquissa un sourire, semblant plus en accord avec cela qu’il ne l’aurait pensé possible.

« Pourquoi les gens se sentent-ils toujours mieux après des funérailles ? Qu’est-ce qu’on vient juste de faire, Danilo ? », demanda Dimitrije.

Danilo continua de penser aux mains condoléantes. Cette coutume avait toujours fait gronder en lui une rage féroce. Il songea à quel point ce serait bien de réaliser un film mettant en scène une famille en deuil, tenant des machettes dans une chapelle, entourée d’un tas de mains de condoléantes coupées à leurs pieds.

Traduit du serbe par Mina Polomac

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