Vladimir Tabasevic

Photo : FoNet Nenad Djordjevic

Le Mississippi coule paisiblement

Cet été-là, il ne comptait pas chômer, une seule idée lui occupait l’esprit, nager et se nourrir de moule, manger de l’abricot et se nourrir d’abricots et de pain, puis de moule le soir, ainsi mener une vie saine, éviter de trop penser au sexe, ce qui était crucial, bronzer et, avec un peu de chance, s’endormir paisiblement sur son matelas, se taper des tartes, se laisser aller tout en attendant à revenir de la mer en bonne santé et après avoir suffisamment nagé, et bien sûr, son crawl résonnerait à travers la plage pendant des jours après son départ, pour sa terre natale, qui n’était même pas la sienne mais celle de son grand-père qu’il n’avait pas connu, mais qu’il se devait de revendiquer, car ainsi l’exigeaient les morts. C’est pour ça qu’en revenant de la plage, il ne souhaitait pas prendre de douche, il aimait sentir le sel le démanger sous le maillot, il aimait cogiter pendant qu’il mangeait des figues, allumer une clope sur sa terrasse et laisser se former autour de sa tête une masse de fumée à travers laquelle une salope aimerait onduler.

Le soleil était au-dessus de lui, toujours dans la constellation de l’amour, c’est ainsi qu’il le percevait, il avait nommé le soleil Peđa, il y avait bien dix minutes de marche qui séparaient sa maison de la plage, et il devait même traverser des rails pour arriver à bon port. Peđa veillait sur lui, le regardait s’enfoncer dans l’abîme et s’étendre sur les cailloux, c’était toujours lui et Peđa, ce duo sans lequel la mer ne serait pas la mer et aucun malheur ne pouvait lui arriver cet été, il le savait, il ne se consacrait pas vraiment à ses vacances, à son besoin de souffler, de se la couler douce, de sortir l’animal, il voulait faire tout ça, seul, en une dizaine de jours, dans une impasse émotionnelle, et évidemment qu’il avait perdu le contrôle de ses vacances d’été, et il en subissait les conséquences, ce n’était pas à cause d’un hérisson, même si un hérisson aurait pu l’achever dans cet état, mais ce n’était pas ça, mais quelque chose de plus sournois encore, plus profond, pour être franc, qui provenait aussi des profondeurs, mais quelque peu surprenant, comme si la vie lui avait planté une carotte dans le visage et lui avait dit : « voilà, à ton tour de jouer le bonhomme de neige, on s’en fout de Peđa »

Le visage maculé de crème chantilly, il se dirigeait vers la plage, ses claquettes étaient plus chaudes qu’à l’accoutumée, ça aurait pu, s’il avait voulu l’interpréter, un signe, mais malheureusement, il s’était complètement détaché de tout besoin d’interpréter le monde, il y participait sans ressentir la nécessité de le comprendre, son existence-même ne le préoccupait pas plus que le fait que son crawl, qu’il avait légèrement stylisé, suscite toutes les conversations cet été-là, et pour lui, c’était tout ce qui l’intéressait du monde extérieur, qu’une meuf puisse se dire « hé, regarde ce qu’il nage bien ce nageur, même si je le connais pas, peut-être qu’un jour il deviendra un héros méconnu, qui le saura », et avec une telle pensée, il serait satisfait, ça lui suffisait que cette idée traverse l’esprit d’une meuf de la même manière qu’il pénétrait l’eau de tout son corps en plongeant du quai, et qu’il demeure en très bons termes avec le monde, sans désaccord entre les deux, où tout est affaire de chœur, comme toujours, car comme il l’a souvent dit, tout se trouve dans les chœurs, le cœur dans les chœurs, et les chœurs dans le cœur.

Traduit du serbe par William Viskovic

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