Photo : Adrijana Vidić
un croquis de rien.
en est-il ainsi de l’univers ? un néant grand et beau qui occupe l’espace de la nuit ? en-dessous et au-dessus de moi, devant et derrière, il
s’étire sans raison particulière. au centre, il y a moi, qui flotte en lui,
entre le haut et le bas, ou quel que soit le nom de ce qui nous limite.
Je flotte comme avant ma conception, il n’existe que l’idée de moi.
quand arrive le matin peut-être serais-je et peut-être pas. pour l’instant je suis là, l’idée du néant s’estompe à travers la pièce et tombe
sur les meubles grain après grain, reflétant l’obscurité. la conscience
s’étend jusqu’aux premières particules devant mon visage. derrière
eux se trouve tout un territoire inexploré. et puis dans l’ombre un téléphone sonne et parmi toutes les choses je vois clairement : comme
des punaises de lit, mes idées s’enfuient sous la table, sous l’armoire,
sous le lit, chacune de son côté.
le miroir.
j’ai un miroir grossissant. un miroir rond sur pied avec un cadre marron. tous les jours, je joue le jeu suivant avec lui : je le pose sur la
table, mon miroir, je me tiens devant lui et je regarde comment la
personne dans le miroir me regarde. lorsque je m’en approche, ma
tête grossit lentement, elle gonfle comme un petit pain dans le four.
lorsque je m’en éloigne, je me reconnais. entre le miroir et moi il y
a comme un 8 à l’envers, le regard est bloqué à l’infini dans cette
boucle « je te regarde toi qui me regardes te regarder ». chaque jour
j’ignore qui tu es mais on se connait. je m’approche, je m’éloigne.
je m’approche, je m’éloigne. si je m’arrête, ou si j’interromps ce jeu
au milieu d’un mouvement, peut-être obtiendrais-je une réponse à
cette question : qui suis-je réellement. ou bien mettrais-je simplement mon manteau pour descendre devant l’immeuble. oui, la saison
de la vente des patates a commencé. des camions sillonnent la villle.
Traduit du croate par Vesna Bojovic et publié aux éditions Slavitude dans le recueil, Cartes postales d’une république poussiéreuse
