
Photo : Alain Barbero
Beloslava Dimitrova est une poétesse et journaliste bulgare née en 1986, qui a déjà publié trois livres et reçu trois prix prestigieux en Bulgarie pour sa poésie. Elle travaille actuellement à la radio nationale bulgare. Les œuvres de Dimitrova ont été traduites en plusieurs langues, notamment en anglais, allemand, français, espagnol, italien, croate, macédonien et hindi. Elle réside et travaille à Sofia.
ENFANT
Ma mère n’est pas d’ici
Je l’ai appris à mes dépens
Ni par message, document ou volatile
Mais par le sang – facteur Rh négatif
Sa peau translucide et claire
Les petits yeux bleus aux deux extrémités
De son visage en forme de lune où se lit le manque de protéine
Les veines roses qui ne ressortaient jamais
Je me souviens de l’infirmière frappant sa main
En criant que ce n’était pas normal
Comment ce sang circule-t-il ?
Je me souviens encore du mal qui s’emparait d’elle
Alors que nous étions si proches du bonheur
Elle vomissait du plasma et rêvait
De revenir en arrière
Mais elle avait oublié l’emplacement du ciel
En haut ou en bas
Elle était trop troublée pour tendre les bras
Il y a 15 % de gens comme elle sur cette terre
Je devrais accepter
que ses véritables parents sont
Des visages blêmes aux cœurs bleus
À L’INTÉRIEUR
J’ai écrit sur ma peur
J’ai écrit sur ce qui est arrivé
dans ma famille
mon frère malade
la dépendance
la déchéance du plus grand
et du plus petit
Le désespoir m’a rongé pendant tant d’années
Moi qui a été créée pour consoler
À la fin des années 80
J’étais une torture à moi-même
J’avais peur de mourir
J’avais peur de devenir folle
J’avais peur de tuer quelqu’un
Parfois rarement mais avec insistance
je pensais à ma grand-mère
à son armoire de savons, de sucre et de farine
ils avaient bombardé son âme
et le premier enfant de la famille
était mort-né en prison
La rage la colère et la terreur ont éclaté
Je ne savais pas quoi en faire
Alors je les ai refoulées
Je ne pouvais m’en défaire
Les cachets n’étaient d’aucune aide
Ni la thérapie la moins coûteuse de Sofia
Ni la fausse démocratie
dans laquelle j’avais grandi
En fait une seule fois
j’ai ressenti un bienfait de ma douleur héréditaire
La première fois que j’ai rencontré
des gens courant dans un champ
J’étais devant la télévision
mon bras et mon esprit paralysés
Puis je les ai vus courir
se sauver
j’ai vu leurs instincts se réveiller
et j’ai regardé plus profondément
plus intensément
je suis allée au bout de mes sensations
je me suis serré la gorge
et j’ai commencé à halluciner
Je voyais un bateau sur lequel ils avaient mis un enfant
et sa mère qui rentrait le bateau
Étais-je cet enfant ?
Étais-tu cet enfant ?
Traduit du bulgare par William Viskovic