
pommade de zagreb (zagrebački melem)
I
j’achète à mon fils un petit vélo sans pédale.
dans un magasin désert
laissée-pour-compte
je me tiens seule parmi les rangées de roues enchaînées
décidée à trouver
une draisienne bleue.
je prends mon temps.
je prends un radeau pour mon fils qui naviguera sur le béton.
je prends un voilier qui le captivera.
une fois à bonne distance
il se détachera de moi et de toutes ses obligations.
c’est pourquoi je prends mon temps.
il me vint alors à l’esprit
qu’outre la terre
mon fils doive aussi maitriser les cieux.
des casques et des genouillères peut-être mais je n’achète rien de tout cela.
le sang doit couler.
des cercles tout d’autour de moi.
II
mon fils roule à vélo sur l’anneau piétonnier du rotor* de zagreb.
mon regard est ferme comme du tissu conjonctif.
ma mise en garde comme un grillage de mots.
j’ai déposé le goût de la liberté sur sa langue
et j’ai levé la tête pour lui insuffler ma confiance.
puis je suis sortie de son champ de vision
j’ai fermé les yeux sans résistance
et je me suis tenue à distance.
j’ai un corps ici.
je regarde les nuages le tirer par la main.
le ciel est parsemé de traînées d’avions.
l’air grillagé pour que les oiseaux puissent respirer.
j’ouvre tout ce que j’ai.
je sors l’appareil photo.
cela ne tiendrait pas dans l’objectif :
ni les grains de raisin tardif que laisse apparaître son sourire
ni le genou rouge sur les petits cailloux
ni la roue dans le rotor
dans laquelle je masquais mes pales.
je sors la pommade
et je baise la blessure.
qu’il m’est aisé
de prêcher l’évangile
Traduit du croate par Karla Kurtoic et William Viskovic
*Grand rond-point de Zagreb