Danijela Repman

Photo : Nađa Repman

CHASSEURS D’ORAGES (Lovci na oluje)

il est peu probable que j’aille un jour en amérique

au nord-est du nebraska

pour chasser les orages avec une caméra amateur

et observer la naissance

des petites et grandes tornades

mais il est

quand même bon de savoir

lorsque vous êtes assis

à des milliers de kilomètres

dans votre chaleureux foyer

construite selon des calculs statiques précis

à l’abri des

tremblements de terre

des tornades et des ouragans

des éruptions volcaniques

des avalanches

de la fonte des glaciers

des incoercibles torrents et

des feux de forêts

une grande tornade a croisé le chemin

d’une femme du nebraska

les plus petites ont ensuite

commencé à tourner autour de la plus grande

son frère jumeau maléfique apparût

il y avait deux tornades

la caméra a tout enregistré

la femme criait de toute son âme

le commentateur disait

c’est trop cher payé pour être curieux

si j’avais été à sa place

j’aurais enclenché la marche arrière

et j’aurais fui le plus loin possible

malheureusement

il était trop tard pour elle

mais vous qui regardez

retenez-bien ceci

si vous apercevez le danger à temps

il y a peut-être un moyen pour vous de vous en sortir

ne cédez pas à la panique

roulez perpendiculairement à la tornade

ou restez attachés dans la voiture

la tête baissée

en aucun cas ne cherchez votre salut

sous un pont

ma grand-mère s’est battue avec d’autres monstres

mais avec la même passion

tous les samedis matin elle confectionnait rituellement

avec une dévotion infinie
des petites usines de la mort

elle mélangeait la nourriture aux poisons

elle plaçait des appâts et des pièges

tendus aux divers parasites

elle disait

ceci est une grande maison

mais elle est faite de paille et de boue

(elle cessa alors de parler à voix haute

et nous savions à quoi elle pensait

il convenait de ne pas s’attirer le mauvais œil et de nous porter malheur)

tu n’as pas besoin de crues

de feux de forêts

ou de tremblements de terre

si tu ne prends pas garde

quelque chose pourrait saper cette maison

elle pourrait nous tomber sur la tête

les murs pourraient céder

le plafond s’effondrer

beaucoup d’âmes ont élu domicile ici

car

il existe dans cette maison des mondes parallèles

sous notre plancher

les rats ont leur propre royaume

leurs rues leurs ronds-points et leurs centres commerciaux

des souris

des taupes

des lézards

des mille-pattes

des verres de terre

des punaises d’eau

des fourmis jaunes et noires

vivent aussi

dans ce minuscule endroit

des métropoles entières furent bâties

et nous ne pouvons nous permettre d’oublier l’essentiel

nos aïeux reposant dans le cimetière voisin s’y trouvent parfois aussi

et de temps à autre nous rendent visite

nous ne les voyons pas ni ne les entendons

ils ne demandent rien

mais ils sont affamés et esseulés

ils s’assoient à notre table sur les chaises vides pendant le déjeuner

ils recueillent de leurs langues le sel de nos couteaux

ils ramassent les miettes sèches du sol

il est bon de leur laisser

la dernière bouchée dans l’assiette

même si elle n’a jamais été au nebraska

ma grand-mère savait tout de la mort

des catastrophes naturelles et des forces supérieures

le jour de ses quatre-vingt ans

après quelques verres de rakija

pendant que nous regardions de vieilles photos

elle nous en toucha un mot

il y a vingt ans de cela

mon défunt grand-père l’avait appelée en rêve

il l’avait serrée fort dans ses bras

comme s’il voulait danser

tantôt brusquement

tantôt doucement

il l’attirait vers le cœur de la tornade

un orchestre d’étain tonitruant jouait

toute la maison fut détruite

toute la rue fut détruite

elle était contente de sa venue

elle lui adressa un sourire plein de joie

elle appuya son front sur son épaule

et il essaya de lui glisser un mot

mais elle n’aurait pas été là pour nous le raconter

si elle était restée ne serait-ce qu’un instant encore dans ses bras

par chance elle était

une chasseuse d’orages aguerrie

elle savait que le plus important était de savoir

se retirer à point.

Traduit du serbe par William Viskovic

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