
CHASSEURS D’ORAGES (Lovci na oluje)
il est peu probable que j’aille un jour en amérique
au nord-est du nebraska
pour chasser les orages avec une caméra amateur
et observer la naissance
des petites et grandes tornades
mais il est
quand même bon de savoir
lorsque vous êtes assis
à des milliers de kilomètres
dans votre chaleureux foyer
construite selon des calculs statiques précis
à l’abri des
tremblements de terre
des tornades et des ouragans
des éruptions volcaniques
des avalanches
de la fonte des glaciers
des incoercibles torrents et
des feux de forêts
une grande tornade a croisé le chemin
d’une femme du nebraska
les plus petites ont ensuite
commencé à tourner autour de la plus grande
son frère jumeau maléfique apparût
il y avait deux tornades
la caméra a tout enregistré
la femme criait de toute son âme
le commentateur disait
c’est trop cher payé pour être curieux
si j’avais été à sa place
j’aurais enclenché la marche arrière
et j’aurais fui le plus loin possible
malheureusement
il était trop tard pour elle
mais vous qui regardez
retenez-bien ceci
si vous apercevez le danger à temps
il y a peut-être un moyen pour vous de vous en sortir
ne cédez pas à la panique
roulez perpendiculairement à la tornade
ou restez attachés dans la voiture
la tête baissée
en aucun cas ne cherchez votre salut
sous un pont
ma grand-mère s’est battue avec d’autres monstres
mais avec la même passion
tous les samedis matin elle confectionnait rituellement
avec une dévotion infinie
des petites usines de la mort
elle mélangeait la nourriture aux poisons
elle plaçait des appâts et des pièges
tendus aux divers parasites
elle disait
ceci est une grande maison
mais elle est faite de paille et de boue
(elle cessa alors de parler à voix haute
et nous savions à quoi elle pensait
il convenait de ne pas s’attirer le mauvais œil et de nous porter malheur)
tu n’as pas besoin de crues
de feux de forêts
ou de tremblements de terre
si tu ne prends pas garde
quelque chose pourrait saper cette maison
elle pourrait nous tomber sur la tête
les murs pourraient céder
le plafond s’effondrer
beaucoup d’âmes ont élu domicile ici
car
il existe dans cette maison des mondes parallèles
sous notre plancher
les rats ont leur propre royaume
leurs rues leurs ronds-points et leurs centres commerciaux
des souris
des taupes
des lézards
des mille-pattes
des verres de terre
des punaises d’eau
des fourmis jaunes et noires
vivent aussi
dans ce minuscule endroit
des métropoles entières furent bâties
et nous ne pouvons nous permettre d’oublier l’essentiel
nos aïeux reposant dans le cimetière voisin s’y trouvent parfois aussi
et de temps à autre nous rendent visite
nous ne les voyons pas ni ne les entendons
ils ne demandent rien
mais ils sont affamés et esseulés
ils s’assoient à notre table sur les chaises vides pendant le déjeuner
ils recueillent de leurs langues le sel de nos couteaux
ils ramassent les miettes sèches du sol
il est bon de leur laisser
la dernière bouchée dans l’assiette
même si elle n’a jamais été au nebraska
ma grand-mère savait tout de la mort
des catastrophes naturelles et des forces supérieures
le jour de ses quatre-vingt ans
après quelques verres de rakija
pendant que nous regardions de vieilles photos
elle nous en toucha un mot
il y a vingt ans de cela
mon défunt grand-père l’avait appelée en rêve
il l’avait serrée fort dans ses bras
comme s’il voulait danser
tantôt brusquement
tantôt doucement
il l’attirait vers le cœur de la tornade
un orchestre d’étain tonitruant jouait
toute la maison fut détruite
toute la rue fut détruite
elle était contente de sa venue
elle lui adressa un sourire plein de joie
elle appuya son front sur son épaule
et il essaya de lui glisser un mot
mais elle n’aurait pas été là pour nous le raconter
si elle était restée ne serait-ce qu’un instant encore dans ses bras
par chance elle était
une chasseuse d’orages aguerrie
elle savait que le plus important était de savoir
se retirer à point.
Traduit du serbe par William Viskovic