Zvonko Karanovic

Dream N° 33

on nommera ta fille Salomé

elle aura des yeux noirs

et aussi inconsolables que la faim

une robe de mariée en peau de lézard

une mèche de cheveux de ton amant

elle sera clairvoyante

elle choisira de mourir à bord d’un avion

sur la ligne

Oslo-Kandahar

on nommera ton fils Sébastien

il sera amoureux de sa

sœur

il découvrira la montagne magique

le berceau et le caléidoscope

il fera imprimer

le journal secret de Salomé

comme une nouvelle Bible

il te poussera dans un landau

par le crépuscule doré

du sanatorium

jusqu’à la fin de ta vie

jamais tu ne cessera de porter la soie noire

et le vent sera

ton unique compagnie

unique consolation

Golden Years

nous allons encore regretter

les années d’or

passées à désirer

d’énormes hypermarchés

où les appareils fonctionnent au toucher

rêvant de l’ouest

et de petites oranges

qui fleurissent sur la fenêtre

nous devenons de plus en plus âgés et heureux

je t’emmènerai d’ici

ce monde est trop triste

pour être pris au sérieux

tu as besoin d’amour

la seule drogue qui puisse t’emporter

je suis un mariachi

avec une seule corde sur ma guitare

je t’étranglerai avec

auprès d’un lac qui aura la couleur de tes yeux

du lac je te déposerai dans la baignoire

je te déposerai de la baignoire dans le lit

du lit je te déposerai au ciel

et si le désir te prend de revenir

je serai ton destin

tu pourras me garder

pour être de ta vie le générique de fin

Crucifix rose

souviens-toi

on était amoureux de la même jeune fille

on avait acheté la première voiture ensemble

et sans but on parcourait les alentours

à chacun une épaule

et une fenêtre

on faisait des plans

pour se tirer en Amérique

et y vivre dans un magasin de disques

souviens-toi

comme tu as brisé le cendrier

sous lequel ta mère

te laissait de l’argent

chaque matin avant de partir au travail

du crucifix rose sous lequel tu priais

chaque soir avant de te coucher

souviens-toi

comme on croyait pouvoir changer les choses

mais

la vie toujours vole les baisers

et les donne à un autre

elle est venue chez moi dans l’appart

sans que je l’y invite

d’ailleurs

tu étais trop absent pour comprendre

comment elle s’est retrouvée dans ma chambre

la facilité avec laquelle elle s’est faufilée

dans le lit

maintenant les mots ne sont d’aucune aide

tu gardais le silence des jours entiers

et attendais

que quelqu’un te ramasse

tel une tendre et fragile

serviette japonaise

entre les pages d’un cahier

Traduit du serbe par Boris Lazic

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