
Photo : Jelena Medić
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Tous les livres se terminent d’ordinaire par un point.
Ce livre pour le moins inhabituel commence par un point.
Cher lecteur, touche-le. Je parle du point.
C’est bon ?
Oui.
Merci.
Voilà, ce sera notre point commun.
Il est très important pour l’auteur et le lecteur d’avoir des points communs, ça ne peut pas être des virgules en commun, ce serait bête. Sinon, j’ai écrit ce livre en une semaine, et pourtant, cela faisait des années qu’il mijotait dans mon esprit ; je tapais sur ma machine à écrire comme un fou. C’est l’histoire d’Akiko. Tout ce qu’il fallait, c’est que je sois réveillé au même moment qu’Akiko, car c’est elle qui la dictait.
L’Auteur
I
Salut tout le monde. Je m’appelle Akiko.
J’ai des taches de rousseur et ma peau sent le vieux papier.
Je suis souvent toute seule.
Quand j’étais petite, mon père me répétait tout le temps : « Akiko, mon enfant, apprends l’alphabet pour te lire à voix-haute. Pas la peine d’apprendre les chiffres, ou alors, apprends seulement les chiffres romains.
Puis il faisait une pause, tirait une bouffée de sa cigarette, expirait la fumée, et il reprenait : « Apprends les chiffres romains pour trouver ta rangée au théâtre, pour trouver ta place. »
« D’accord, père », lui avais-je répondu.
« Mais », poursuivait le père, « dans la vie, tu n’as pas besoin des chiffres romains pour trouver ta place. Tu es la cire, et non la scène. Tu es la cire, pas le rideau. Tu es la cire, pas le plateau. Tu es la cire, pas l’intrigue. En toi, Akiko, mon enfant, pousse une corde. Tout est noir autour de toi, et tu es la cire. Occupe-toi de cette corde comme d’une liane verte, comme de la paix, comme de quelque chose de sacré et quand elle fleurira, tu seras une bougie. Tout est noir autour de toi. »
Il éteignait alors la lampe de chevet.
« Il est temps de dormir, Akiko.
Bonne nuit. »
« Bonne nuit, père. »
Je m’appelle Akiko et une corde pousse en moi. Je peux être une ancre, je peux être une côte, je peux être ce que je veux. Mais je n’en ai pas envie.
Je connais tout l’alphabet, mais pas les numéros.
Quand quelqu’un me demande mon âge, je réponds : « Je m’appelle Akiko et je n’ai pas d’âge. »
Et puis nous nous fixons longuement.
Un soir après mon bain, j’ai accroché ma serviette sur la fenêtre.
Les fenêtres aident à respirer, un peu comme les poumons.
Propre comme j’étais, je ressemblais à un champ de canne à sucre et les mots s’échappaient comme des oiseaux agités. J’avais peur des oiseaux.
J’ai écrit un court poème sur un homme qui n’avais jamais souri.
Je n’aime pas les gens qui ne peuvent pas sourire parce qu’ils me ressemblent.
J’ai écrit un poème et je l’ai laissé sur la table de nuit.
(COMMENT APPELLE-T-ON UNE TABLE DE NUIT LA JOURNÉE ?)
Au-dessus de la table et au-dessus du poème se trouvait la serviette. Et tout au long de
la nuit, le poème s’imbibait des gouttes que laissait tomber la serviette.
Goutte par goutte.
Goutte par goutGoutte par goutte. Goutte par goutte.
Lorsque je me suis réveillé, j’étais perdue.
C’est alors que la serviette mouillée s’est mise à parler :
« Chère Akiko, excuse-moi, j’ai lu ton poème cette nuit et les larmes sont partis d’elles-mêmes, naturellement. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps et me voilà sèche. J’aimerais que tu sois une côte, Akiko, et que tu m’emmènes à la plage. »
J’ÉTAIS ENCORE PLUS PERDUE QUE TOUT À L’HEURE.
« Mais… Mais… Tu es une serviette, pas de la cire. Tu es une serviette, pas Casablanca.
Tu es une serviette, pas une poupée. Tu es une serviette, pas un mot. Tu es une serviette, et les serviettes ne parlent pas.
OU C’EST MOI QUI DEVIENS COMPLÈTEMENT FOLLE ?
Traduit du serbe par Marija Jovičić, Jelena Đorić, Tijana Spasić, Miljana Potić, Monika Stanković, Natalija Živković, Miona Miljković, Irena Jekić, Sofija Jovanović, Teodora Grujić, Emilija Šarović, Milica Srdanov, Maša Vlaisavljević et Zivko Vlahovic