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Lazar Ristovski

Photo : Archive privée

LA PROMESSE (Obećanje)

Cette nuit-là, Zdravko était encore fiévreux. C’était la troisième fois en six mois qu’il avait une angine purulente assortie d’un mal de gorge. Il avait pris tellement d’antibiotiques qu’il en avait perdu le compte. Ses parents avaient d’abord fait baisser sa température avec du thé et en le faisant transpirer, mais comme cela ne suffisait pas, ils le lavaient nu en le frictionnant à l’alcool. Alors qu’il était debout dans la baignoire, il tremblait sur ses jambes étiques tel un faon qui venait de quitter le ventre chaleureux de sa mère.

Il avait toujours eu honte à l’idée que son père le voie nu. Mais pas sa mère. Elle l’avait mis au monde. Et alors qu’il parlait de football et de la fille dont il était tombé amoureux, il avait fermement décidé de suivre le conseil de son père – se faire opérer les amygdales.

– Allez, tellement d’enfants se sont fait opérer les amygdales. Tu veux continuer à souffrir constamment de cette manière ? Ils te font une anesthésie locale et en moins de dix minutes, le tour est joué – essayait de le convaincre son père – ensuite tu pourras manger autant de glaces que tu veux.

Son père avait oublié les angines purulentes qu’il avait lui-même eu petit, après avoir mangé trop de glaces. Pour un œuf, il avait droit à une boule de glace du marchand qui poussait son chariot en bois à travers le village. Le marchand donnait des glaces aux enfants contre un œuf. Pour un œuf d’oie, deux boules. Comme il avait besoin d’œufs pour faire ses gâteaux, peu lui importait d’échanger ses glaces contre de l’argent, qui lui servirait à payer ses œufs, ou directement contre des œufs.

Ce quota journalier était limité, alors les enfants se précipitaient dès l’aube chez le marchand de glaces, qui n’était pas encore passé dans leur coin, pour avoir leur glace tant

que l’offre « un œuf pour une boule » était toujours d’actualité.

Il avait très souvent des angines pendant l’été et, alors que les enfants l’appelaient pour jouer, il restait chez lui, fiévreux, les amygdales en feu. Lui-même ne savait plus combien de fois il avait reçu des injections de pénicilline. Il avait bu des torrents de pentrexyl, l’antibiotique le plus populaire de l’époque, dont on a appris plus tard qu’il faisait jaunir les dents des enfants de façon irrémédiable. J’imagine que les enfants étaient déjà, comme aujourd’hui, les premiers cobayes de la médecine mondiale, répétait le père. 

Peu importe, il emmena Zdravko se faire opérer les amygdales une fois que le plus fort de son angine était passé. Le docteur Zutic connaissait bien Zdravko. Il le soignait depuis sa première otite, alors qu’il n’avait que deux mois. On pouvait dire que le docteur Zutic et Zdravko étaient amis.

Maintenant que Zdravko entrait au CP, le médecin allait lui retirer les amygdales en guise de récompense.

– Fiston, n’aie pas peur. Ça ne fait pas mal. On va juste te faire une anesthésie et endormir

tes amygdales – le rassura son père.

– Comment tu le sais puisque tu ne t’es jamais fait opérer ? – lui répondit Zdravko,

méfiant.

– Mes amygdales dorment à poings fermés. J’en ai les articulations abîmées. Toi aussi

comme ton père, tu veux finir avec les mains noueuses – son père lui montra les excroissances osseuses qu’il s’était faites en négligeant ses amygdales lorsqu’il était petit – avant de lui faire une promesse qui lui coûterait presque la vie – voilà, si par le plus grand des hasards, tu devais avoir mal, je me ferais aussi opérer les amygdales.

– Tu me le promets ? – sourit Zdravko en prenant son père à témoin du doigt.

– Promis ! – ils se serrèrent la main et scellèrent ainsi leur pacte.

Zdravko se fit opérer les amygdales le jour-même. Son père l’avait attendu dans le couloir.

Il sortit dans un fauteuil roulant que poussait une infirmière. Il tenait dans ses mains, sous

son menton, un bassin en forme de rein.

Du sang qu’il crachait dans ce rein suintait de sa bouche. Leurs regards se croisèrent. Zdravko pris le bassin d’une main et menaça son père de l’autre, alors qu’il ne pouvait que bredouiller en raison de la douleur qui lui étrillait la gorge.

Tout rentra finalement dans l’ordre. Un an plus tard, lors d’un déjeuner, Zdravko dit à son père :

– Papa, j’ai eu tellement mal quand je me suis fait opérer les amygdales. C’était

horrible.

– Je sais, fiston, mais c’est pour ça qu’elles ne te feront plus jamais souffrir.

– Mais tu as promis de te faire opérer aussi si j’avais mal.

Ses parents firent mine de ne pas entendre cette remontrance. Cette nuit-là, ainsi que les

suivantes, son père ne pouvait plus trouver le sommeil. Et même s’il le trouvait, il se réveillait en sueur. Il rêvait qu’il était sur la table d’opération du docteur Zutic, mais au lieu des amygdales, c’est le rein qu’il lui retirait. Pas le vrai, mais celui en acier émaillé, que Zdravko tenait dans ses mains après l’opération. Et ce rêve, à l’instar d’une promesse non tenue, ne cessait de le hanter la nuit.

Pour conserver son autorité paternelle et que son fils, dit-il à sa femme, ne se souvienne de lui comme d’un menteur, il prit la décision de faire opérer ses amygdales qui étaient complètement atrophiées.

Le docteur Zutic le lui avait déconseillé, car à son âge, il aurait eu du mal à supporter une opération aussi anodine.

C’est ce qui arriva. Le père se rendit dans la clinique privée où travaillait le docteur Zutic et se fit opérer les amygdales le lendemain matin. L’opération dura près d’une heure. Il avait perdu beaucoup de sang, car le docteur Zutic avait dû utiliser une sorte de cuillère pour extraire les amygdales atrophiées du tissu dans lequel elles s’étaient logées. Il avait à peine réussi à arrêter le saignement. Le père raconta plus tard qu’il ne lui restait de cette opération, que le souvenir des instruments qui, comme les clochettes lors du Samedi de Lazare, tintaient sur sa langue, alors que l’autre extrémité retenait ses vaisseaux sanguins blessés. Si le contexte avait été différent et si je n’avais pas eu aussi mal, j’aurais pu apprécier ce tintement, riait le père. Mais pendant cette opération anodine, alors que cette douleur atroce l’amenait au bord de l’évanouissement, il maudissait son esprit malade et la décision de faire retirer des amygdales inexistantes. Le médecin le suppliait de ne pas s’évanouir, car cela aggraverait la situation. Même s’il se trouvait dans un état second, le visage pâle et exsangue, la peur des complications l’avait maintenu éveillé.

Cette nuit-là, le médecin était venu en urgence pour recoudre un côté de sa gorge blessée, qui s’était mis à saigner.

Le saignement avait recommencé vers cinq heures du matin et le docteur Zutic avait également suturé l’autre côté avec inquiétude. Sans anesthésie. La gorge était tellement éreintée qu’elle ne répondait plus à l’anesthésie locale. Une suture à vif. Bonté divine.

Le lendemain, en rentrant chez lui, son fils Zdravko l’avait accueilli à la porte, les larmes aux yeux.

– Excuse-moi, papa.

« Si tu tiens à n’avoir qu’une parole, mon fils, il faut bien peser son poids. »

C’est ce qu’il lui aurait dit si la douleur lui avait permis d’ouvrir la bouche.

Traduit du serbe par Zivko Vlahovic

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